Chroniques.
Occasion à ne pas rater
Le gouvernement « ne devrait plus pouvoir construire un hôpital en plein champ, comme il l’a fait à Vaudreuil-Dorion », écrit l’auteur. Sur la photo : l’emplacement du futur hôpital avant le début des travaux.
Ce printemps, une ministre aura l’occasion de transformer le territoire québécois de façon plus importante encore que Jean Garon et sa politique de protection du territoire agricole. Les principes de son projet ont été adoptés cet automne, le plan pour sa mise en œuvre le sera dans quelques mois. C’est de ce plan que tout dépend. De quelle ministre et de quel projet parle-t-on ?
La ministre Andrée Laforest déposera ce printemps le plan de mise en œuvre de la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT). Le plan fait présentement l’objet de discussions intenses au gouvernement. C’est maintenant que ça se passe, comme on dit.
Ces discussions sont cruciales pour l’environnement et pour notre qualité de vie.
Qu’est-ce que cette bibitte ?
La PNAAT est assez vaste, je ne vous donne que quelques exemples de ce qu’elle veut encadrer, partout au Québec. Elle veut orienter la croissance urbaine vers des milieux déjà dotés d’infrastructures et de services publics (centre-ville et cœur de village), augmenter la qualité de l’architecture, contrer la perte des milieux naturels et des terres agricoles, favoriser le transport actif et le transport en commun, planifier des territoires capables de mieux s’adapter aux conséquences des changements climatiques, valoriser le patrimoine et les paysages, accroître la prise en compte des réalités des nations autochtones, etc. Vaste programme.
Mais tout est là. En principe.
Au moment de l’annonce de la PNAAT par la ministre, tout le monde était content. Même les unions municipales. Même les entreprises. Même les promoteurs immobiliers. Ça m’inquiète.
Il y a des promoteurs immobiliers pour qui bien construire, c’est répondre au marché, peu importe l’impact sur l’environnement.
Il y a des chambres de commerce pour qui la libre entreprise est plus importante que la lutte contre les changements climatiques.
Il y a des villes qui veulent agrandir leur périmètre urbain et continuer de s’étaler.
Il y a des citoyens pour qui protéger le paysage est l’équivalent de pelleter des nuages.
Et tout le monde était content de la nouvelle Politique ? C’est que tout le monde attend la suite : le plan de mise en œuvre.
C’est là qu’une partie de notre avenir se joue. Si ce plan ne dérange personne, il n’arrangera rien.
De quel genre de dérangement parle-t-on ?
Par exemple, les villes et les villages du Québec ont présentement assez de place à l’intérieur de leur périmètre urbain pour accommoder minimalement jusqu’à 30 ou 40 ans de croissance démographique (un million de personnes). Il faut donc que la politique dise non, partout, tout le temps, à l’ouverture du périmètre urbain. Il y a des exceptions ? Des endroits vraiment saturés ? Dommage. Les gens iront s’installer ailleurs. C’est ce qu’un bon plan de mise en œuvre dirait.
Il faut aussi que les exigences contenues dans le plan transforment la croissance actuelle, souvent néfaste, en croissance positive ou réparatrice.
Orienter fermement les nouveaux habitants vers les centres-villes, les noyaux villageois et les rues d’ambiance, c’est consolider et améliorer la vie commerciale, l’efficacité des transports en commun, le dynamisme de la vie de quartier, etc. Et grâce à cette densité, offrir des services coûtera beaucoup, beaucoup, moins cher à la ville.
Il faut donc que le plan « force » les villes et les villages à se reconstruire sur eux-mêmes. Je suis d’accord avec l’autonomie municipale : le gouvernement du Québec ne devrait pas se prononcer sur le « comment ». Mais sur le « quoi », il nous faut des orientations nationales claires : favoriser la densité, protéger les milieux humides, les terres agricoles, etc.
Le plan de mise en œuvre devra aussi exiger l’exemplarité de l’État, le gouvernement du Québec lui-même doit améliorer ses façons de faire.
Il ne devrait plus pouvoir construire un hôpital en plein champ, comme il l’a fait à Vaudreuil-Dorion, ou encore autoriser la destruction d’un des seuls édifices patrimoniaux de l’île d’Anticosti. Une SAQ ne devrait plus pouvoir s’installer dans un « Smart center » (traduction libre : centre commercial stupide, donc situé en périphérie des zones urbaines). Le ministère des Transports ne devra plus être obsédé par la fluidité de la circulation, mais par la baisse des émissions de GES et par la sécurité des piétons. S’il doit construire, le gouvernement mettra de la beauté dans nos vies en multipliant les concours d’architecture. Etc.
Dernier élément. Si on ne réforme pas la fiscalité municipale, la nouvelle PNAAT pourrait très bien être inutile. On donne des responsabilités aux villes, mais pas de nouvelles sources significatives de revenus alors elles en cherchent partout. Si on ne réforme pas la taxe foncière, elles utiliseront absolument toutes les zones grises pour construire, construire et construire encore. Adopter une PNAAT sans programme d’aide financière pour donner les moyens aux villes de l’appliquer et sans réformer la fiscalité municipale, c’est comme planter un arbre à côté d’une scierie.
La ministre a une occasion exceptionnelle de passer à l’histoire. J’espère qu’elle la saisira, pour notre bien à tous.