Chroniques.
Scier la branche sur laquelle nous sommes assis
« En transport en commun, quand on veut augmenter l’achalandage, il n’y a pas de secret : il faut améliorer l’offre », écrit notre collaborateur.
La pandémie a été brutale pour les sociétés de transport. L’achalandage du transport en commun s’est effondré et si l’utilisation des voitures est revenue au niveau prépandémie, le transport en commun, lui, traîne toujours la patte. Il serait à 75 % de ce qu’il était avant le Grand Confinement, ce qui prive les sociétés de transport d’une part considérable de leurs revenus.
La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, commence ce mois-ci des consultations pour trouver des solutions pérennes aux difficultés de financement du transport en commun. J’espère que ces consultations seront brèves, car leur utilité ne va pas de soi.
En 2019, le gouvernement du Québec a fait un grand chantier sur le financement de la mobilité durable. Les solutions et les enjeux du financement se trouvent dans le rapport de consultation1. Il est plutôt temps d’agir.
En effet, l’implantation rapide de ces solutions est essentielle et urgente. Urgente parce que les sociétés de transport sont toutes en difficulté. Essentielle parce qu’au Québec, les transports produisent 43,3 % des GES et le transport en commun est un des moyens les plus efficaces et les plus rentables de s’y attaquer.
Par ailleurs, la solution au financement des sociétés de transport ne se trouve pas à l’intérieur des sociétés elles-mêmes, et ce, pour trois raisons : elles rendent des services à toute la collectivité, en transport en commun c’est l’offre qui détermine la demande, et les sociétés sont déjà en difficulté.
Selon l’Association du transport urbain du Québec, cette année seulement, les sociétés de transport du Québec ont un déficit d’exploitation de 563 millions. Dans ce contexte, il faut s’inquiéter de la volonté de la ministre de « rationaliser » les dépenses en transport en commun2, un exercice qui mènera nécessairement à des réductions de services, ce qui serait un recul majeur.
Petit calcul. Chez nous, à la Société de transport de l’Outaouais (STO), si on coupait la totalité des salaires administratifs (tout ce qui n’est pas relié directement à l’offre de service), nous ferions une économie de 8,1 millions de dollars. Cette année, le déficit associé à la baisse d’achalandage est de 9,7 millions de dollars.
Mon petit doigt me dit que c’est la même chose dans la plupart des sociétés de transport. Pour ne pas trop couper dans l’offre actuelle, elles reporteront donc des projets. Il ne faudra pas s’y méprendre, cela équivaudra tout autant à une compression dans l’offre de service. Les projets, c’est l’offre de demain.
En transport en commun, quand on veut augmenter l’achalandage, il n’y a pas de secret : il faut améliorer l’offre. C’est la fréquence et l’amplitude du service qui en détermine les taux d’utilisation. L’offre détermine la demande, à peu près rien d’autre.
Nous pourrions avoir des autobus de luxe, gratuits, où l’on nous sert un verre durant le transport, les gens ne l’utiliseraient que s’il y a une haute fréquence, s’ils peuvent faire comme avec le métro, s’y présenter sans même regarder l’horaire, parce qu’ils savent le service disponible.
On peut remanier l’offre pour s’adapter aux nouvelles habitudes des gens, mais il ne faut pas la réduire. Diminuer l’offre, ce serait l’équivalent de scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
« Mais les autobus sont vides ! », arguent souvent les citoyens. Oui, ils le sont parfois. Mais s’il y a seulement huit passagers dans un autobus hybride, son bilan environnemental est le même que celui d’un véhicule ayant une consommation moyenne de 8 litres par 100 km et transportant 1,2 passager.
Des circuits d’autobus, même minimalement utilisés, restent payants pour la société. (Pour les amateurs de données de ce genre, courez acheter L’état du Québec 2023, l’article écrit par Catherine Morency de Polytechnique Montréal vaut à lui seul le coût du livre.)
De toute façon, quand une rue est peu fréquentée, on n’arrête pas de la déneiger et on n’arrache pas l’asphalte. On ne vend pas non plus son auto quand on comprend qu’elle passe, comme le disent les recherches, 95 % de son existence stationnée !
En transport en commun, la vraie dépense se produit quand on n’y investit pas.
Selon une étude faite dans la ville de Québec il y a deux ans, le transport en voiture coûte à la société cinq fois plus cher que le transport en commun. Cinq fois3 !
En effet, l’automobiliste paie la voiture et son entretien, ses assurances, l’essence, etc. Mais il faut ajouter les coûts assumés par la société : temps de productivité perdu à cause de la congestion, construction et entretien des routes, accidents, pollution, etc. Le transport en commun diminue l’ensemble de ces coûts.
Une autre étude, montréalaise cette fois, a déterminé que le faible coût du transport en commun permet aux ménages montréalais de consacrer 800 millions de plus à leurs dépenses personnelles. Tout un gain pour l’économie locale.
La solution aux enjeux de financement du transport en commun n’est pas dans les sociétés de transport. La solution se trouve dans le choix assumé d’investir des ressources financières collectives pour que la branche sur laquelle nous sommes assis reste vigoureuse.